Simonetta Sommaruga: "La pression de la rue est nécessaire"

Le temps, Michel Guillaume
GRÈVE DES FEMMES La conseillère fédérale le dit sans ambages: elle soutient la prochaine grève des femmes, tout en soulignant que l'égalité est l'affaire à la fois des femmes et des hommes.

Comment avez-vous vécu la grève des femmes de 1991 ?

A cette époque, j’enseignais le piano à Fribourg, où j’avais aussi fait des veilles de nuit dans un refuge pour femmes battues. Ce 14 juin 1991, j’ai été frappée par un contraste. D’un côté, des femmes qui se cachaient pour échapper à la violence domestique, de l’autre des femmes qui occupaient l’espace public au centre de Fribourg pour revendiquer l’égalité. Et dire qu’il a fallu attendre encore 27 ans pour que le parlement adopte une loi pour réaliser l’égalité salariale en obligeant les entreprises à faire preuve de transparence ! J’ai dû me battre durant sept ans, et jusqu’au dernier jour, pour y parvenir.

Cette grève a-t-elle traduit une libération de la parole des femmes ?

Il est rare que les femmes envahissent l’espace public. J’ai réalisé qu’ensemble, nous sommes fortes.  

Cette grève a-t-elle été suivie d’effets concrets ?

Elle a eu en tout cas des effets indirects. Nous avons enfin créé une loi pour appliquer l’article constitutionnel sur l’égalité. La grève a aussi eu une influence sur l’élection de Ruth Dreifuss en 1993, la 2e femme élue au Conseil fédéral. Cette pression de la rue est d’ailleurs toujours nécessaire. La manifestation qui a réuni 20'000 personnes sur la Place fédérale à Berne en septembre dernier a bien montré que la société n’acceptait plus les inégalités, qu’il fallait non seulement une loi sur les salaires, mais aussi plus de femmes au Conseil fédéral. Nous sommes encore loin du but. 

Vraiment ?

Lisez le rapport du WEF à propos de l’égalité des genres, qui vient de sortir. La Suisse n’y figure qu’en 20e position. Dans l’économie, elle a même reculé! Il n’y a qu’une femme sur dix membres des directions des grandes entreprises suisses. Comme le Conseil fédéral, le Conseil National et la commission du Conseil des Etats, je suis convaincue que des quotas sont indispensables pour améliorer l’équilibre. 

La grève de l’an prochain survient un bon quart de siècle après la première. Est-ce à dire qu’entre-temps, une génération de femmes ont cru trop que l’égalité était acquise ?

Il est possible que les femmes, pouvant désormais choisir leurs études et leur métier, aient eu ce sentiment. Mais lors de tout le débat du parlement sur l’égalité salariale, j’ai vu monter la colère des femmes face à la discrimination dont elles sont encore victimes. 7000 francs de moins par année, seulement parce qu’on est une femme, c’est un scandale. Depuis l’apparition du mouvement #MeToo, les femmes ont brisé des tabous sur le harcèlement sexuel. Elles ne se taisent plus. Sur ce plan, les choses ont bougé.

Cette grève des femmes doit-elle aussi devenir celle des hommes ?

Oui ! L’égalité est aussi un combat des hommes, qui doivent lutter par exemple pour le congé paternité ou un congé parental. Les hommes étaient nombreux lors de la manifestation de septembre dernier pour l’égalité. C’est un bon signe. En fait, l’égalité est un combat commun. Beaucoup de femmes qui ont un travail exigeant et des enfants me le disent : ce n’est que lorsque leur partenaire assume sa part de travail domestique et d’éducation des enfants que tout devient possible.  

Quel est votre message dans l’optique de cette grève des femmes ?

L’économie sait désormais, car des études l’ont prouvé, que les équipes mixtes sont plus efficientes à tous les échelons d’une entreprise. Les femmes sont prêtes à prendre leur place dans le monde du travail, mais il faut pour cela leur offrir des conditions cadres favorables. Elles ne doivent pas avoir à choisir entre leur carrière et leur famille, comme c’est le cas pour les hommes. Je souhaite que l’économie crée davantage d’emplois à temps partiel à tous les niveaux hiérarchiques, aussi pour les hommes. La Confédération montre l’exemple : elle permet ainsi à chaque employé qui devient parent de réduire son temps de travail de 20% tout en gardant son poste. Cela dit, j’aimerais aussi qu’on revalorise des professions typiquement féminines : le salaire d’une sage-femme ou d’une éducatrice de la petite enfance ne correspond de loin pas aux responsabilités de leur tâche.  

Dernière modification 28.12.2018

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